La Politesse de Wassermann

Laëtitia Badaut Haussmann
Maison Louis Carré, Bazoches-sur-Guyonne (Yvelines)

Du 25 juin au 3 septembre 2017
Bazoches-sur-Guyonne (Yvelines), France

Laurent Fiévet & Silvia Guerra,
commissaires en collaboration avec Ásdís Ólafsdóttir

2017

La politesse de Wassermann

La Politesse de Wassermann est le projet que Laëtitia Badaut Haussmann a conçu pour la Maison Louis Carré d’Alvar Aalto. Le titre est emprunté au texte de J.G. Ballard, The Atrocity Exhibition publié en 1969 aux Etats-Unis (La Foire aux Atrocités dans sa version française de 1976). Ce roman expérimental dont la lecture, selon son auteur, pourrait être commencée par la fin, est un voyage à travers l’inconscient américain ; construit de manière fragmentaire, il est aussi un rêve éveillé travesti en cauchemar.

Laëtitia Badaut Haussmann crée son propre récit à La Maison Carré, demeure du galeriste et collectionneur Louis Carré commanditée pour sa femme Olga Carré ; un lieu où la vie privée fusionnait avec les affaires de son propriétaire allant de séances de travail avec Jean Cocteau aux parties d’échecs avec Marcel Duchamp. L’amitié qui unissait le couple Carré à Alvar Aalto et son épouse et collaboratrice Elissa Aalto leur a permis d’être complices de la création d’un lieu souhaité comme une œuvre d’architecture et de design totale, favorable à générer une énergie hors pair lors des garden-parties et réceptions régulières.

La Maison est encore aujourd’hui habitée par de nombreuses traces de sa vie antérieure : mobilier, vêtements, livres, vaisselle, flacons de parfums etc. Il y manque cependant les œuvres d’art qui furent une donnée essentielle de la conception de l’architecture et dont la majeure partie de la collection Carré fut vendue aux enchères lors de la succession d’Olga Carré. Or il semble par moment possible d’entrer dans cette vie sociale, culturelle et artistique du XXème siècle un peu comme chez Ballard où le puzzle se construit au fil des différents sous-chapitres.

Laëtitia Badaut Haussmann composera une œuvre elle aussi par éclats via un ensemble de nouvelles pièces conçues in situ. Soulignant les symétries perdues du modernisme et faisant écho à la présence des femmes qui ont été les forces motrices de Aalto ou Carré, l’artiste invoque un espace peuplé de fantômes et de désirs pour accueillir les visiteurs du XXIème siècle, à leur tour hantés et confondus par la poésie du lieu et ses réminiscences.

Laëtitia Badaut Haussmann s’inspirera librement de l’architecture moderne d’Aalto, d’influences littéraires allant de Histoire de l’œil de Bataille à Pornotopie de Paul B. Preciado aux côtés de J.G. Ballard pour ne citer qu’eux et où la bourgeoisie déviante de Luis Buñuel produit une image de fond pour mettre en place une exposition aux calques multiples où le conceptuel n’est pas purement référentiel mais articulé à la physicalité d’un surréalisme contemporain. Ce sera le début de l’été, la piscine sera éclatante, le soleil rayonnera à travers les grandes baies vitrées et vous pourrez entrer dans la Maison. Les lumières seront allumées, la musique se fera entendre, ce sera la St. Jean (Juhannus en finnois) et la date anniversaire de la première réception donnée en l’honneur des Aalto, 57 ans auparavant ; le moment d’un croisement entre les histoires d’un passé encore présent et d’un futur étincelant de soupirs.

Silvia Guerra, co-curatrice du projet.

QUATRE QUESTIONS D’ÁSDÍS ÓLAFSDÓTTIR À LAËTITIA BADAUT HAUSSMANN

Qu’évoquent pour vous la Maison Louis Carré, son histoire, ses propriétaires, son passé ?

La Maison Louis Carré est un paradigme moderniste dans toute son excellence : de goût, de classe, de commanditaire, d’architecte… C’est aussi vertigineux que fascinant comme objet d’étude et cela génère une position ambiguë comme point de lecture de l’histoire. Tout y fut pensé afin que circulent parfaitement les idées, l’art, l’argent et les réseaux lors de dîners, cocktails et autres réceptions. En tant que choix esthétique, ce projet d’architecture et de design total destiné à articuler l’art et la vie est passionnant. Ce site accumule plusieurs calques : histoire de l’art, de l’architecture, du design, liés évidemment à une histoire sociale. C’est la fin d’une époque dont les ombres occupent encore un espace considérable aujourd’hui. À ce titre, Le Charme discret de la bourgeoisie de Buñuel résonne assez bien avec la manière dont je perçois ces ruines en parfait état de conservation.

Dans quelle mesure l’architecture et le design d’Alvar Aalto vous ont-ils inspirée dans ce projet ?

L’architecture d’Aalto et son design ont, par les choix et l’usage de matériaux naturels et très précisément choisis, une franchise sur l’organique qui n’est pas d’emblée le vocabulaire de l’architecture moderne. Avec cela, la dynamique de travail qu’Aalto déploie via Artek est déterminante – structure initialement créée avec sa première épouse, Aino Aalto (1894-1949), qui eut une influence fondamentale dans le langage qu’il développa tout au long de sa carrière. Pour la Maison Carré, Elissa Aalto (1922-1994) a endossé un rôle majeur de collaboration et suivi de chantier. Un nombre de femmes architectes et designers absolument essentielles pour le projet y ont travaillé de façon invisible, telles Marlaine Perrochet (1928-2012) et Maija Heikinheimo (1908-1963). La communauté d’intelligence, de création et de production rassemblée autour de ce projet est un levier passionnant pour comprendre cette architecture et en tirer des récits.

Le jardin de la villa est également la création d’Alvar Aalto et a connu de glorieuses fêtes par le passé.
Vous m’avez dit vouloir le faire revivre le temps du vernissage ?

Le 24 juin, date du vernissage, en rappelle deux autres, essentielles : la date anniversaire (à deux jours près) de la première grande fête que les Carré donnèrent dans la maison en l’honneur d’Alvar et d’Elissa Aalto ainsi que la célébration de la Saint-Jean (Juhannus) qui est la fête du solstice d’été, particulièrement célébrée dans la culture des pays nordiques. Comme vous le soulignez, le jardin a été pensé dès l’origine pour recevoir des garden-parties. Cet aspect social et festif fut un marqueur fondamental de la vie dans cette maison. La singularité de l’invitation qui m’est faite liée au contexte politique et social dans lequel nous nous trouvons appelle à une volonté de réunir, d’être ensemble pour et par un événement collectif dans ce lieu.

Comment s’établit, selon vous, le lien entre ce lieu, datant de la fin des années 1950, et la création contemporaine ?

D’une certaine manière nous sommes les petits-enfants, probablement illégitimes, des générations auxquelles appartenaient Aalto, Carré et consorts. Il y a forcément une distorsion dans la réception de ces histoires et de cette époque, en tension sur des niveaux variables de respect, d’écart ou de rupture. Nous avons les clefs de la maison pour le week-end et nous serons toujours des adolescents. Par ce biais, il s’agit d’exorciser un passé qui pourrait sembler parfait dans sa modernité, mais nous n’avons jamais été modernes.

MAISON LOUIS CARRÉ

Édifiée sur les plans d’Alvar Aalto (1898 – 1976) pour le marchand et collectionneur Louis Carré (1897-1977), la maison est le seul édifice de l’architecte finlandais en France. Elle fut livrée en 1959 et la piscine achevée en 1963. Fidèle à une conception fluide de l’espace, et à une vision très personnelle et éminemment humaniste du modernisme, Aalto en dessina l’ensemble, du plan général au mobilier, sans oublier les éléments de détail tout en intégrant parfaitement la maison à la douceur du paysage d’Ile-de-France selon le voeu de Louis Carré. Considérée par la critique dès sa réalisation comme l’un des plus grands chefs-d’oeuvre d’Aalto alors au sommet de son art, elle fait figure d’oeuvre totale.

Maison Louis Carré

https://maisonlouiscarre.fr/mlc/
78490 Bazoches-sur-Guyonne
01 34 86 79 63

Téléchargement

thumbnail of dp-politesse-de-wasserman
Dossier de Presse (pdf)