Un Œil dans La Maison

Miguel Palma
La Maison de La vache qui rit, Lons-le-Saunier, du 12 juillet au 11 novembre 2013

Commissaires : Laurent Fiévet & Silvia Guerra

2013

Un Œil dans La Maison

Une maison se dresse dans la maison. Elle est à la fois pareille et différente. Comme semblable, mais plus petite aussi.

Tandis que je la découvre, je me retrouve brusquement propulsé au-dehors, moi qui croyais être bien au chaud, au-dedans. Je suis tout à coup projeté en arrière, moi qui pensais en avoir déjà franchi les portes.

Je suis comme saisi par une impression de déjà-vu. Comme si je faisais retour dans le temps, revenais sur mes pas au moment où j’avançais vers elle. Comme si je m’apprêtais à revoir ce que pensais avoir déjà vu, ou plutôt à reconsidérer ce que j’avais cru voir, revivre ce que j’avais déjà vécu.

La voici pourtant dressée devant moi, cette même maison, comme si je n’étais pas là déjà. Comme si je n’étais pas venu encore, ne m’étais pas aventuré au-dedans. Et pourtant bien différent de celui-là, celui-là même qui pensait être rentré déjà. Un moi curieusement grandi, fortifié par ce que je pensais y avoir vu et nourri par ce que je considérais y avoir appris. Un moi à la fois bien moi et bien différent de celui que je croyais être, de celui que j’étais au moment où il me semblait bien m’être retrouvé déjà devant. Un autre moi.

C’est un peu comme si, à travers elle, je portais un regard nouveau sur moi. Que je m’apercevais que je n’étais pas tout à fait celui que je croyais. Que quelque chose s’était modifié en moi, au fil de ce que j’avais cru s’être passé en elle. Et que ce changement s’imposait brusquement à moi aussi concrètement que la façade de cette maison.

C’est comme si me retrouvais brusquement en train de me regarder d’un nouvel œil, tandis que toi, maison, je te fixe des yeux.

Tu as, jolie maison, des yeux rieurs. Quand je te regarde, je te sens presque sourire. J’ai l’impression d’être presque à ta taille, maintenant, toi qui m’avais semblé si grande la première fois. Je pourrais presque te toucher, t’apostropher, te parler.

Ce que j’avais cru voir et ce que j’avais pensé avoir appris sur toi me permet de te considérer différemment. Tu n’es plus ce lieu anonyme dans lequel je pensais pouvoir m’engouffrer, pénétrer indifféremment, mais quelque chose qui fait partie de moi et que je peux fixer dans les yeux, les yeux dans les yeux. Tu es comme un petit peu de moi et de l’expérience que j’avais pensé avoir de toi.

Tandis que j’avance plus près encore, le regard que je te porte continue d’ailleurs de se déporter vers moi. Il se montre, à mon insu, et me considère, encore plus attentif à chacune de mes réactions, à chacun des mouvements que j’exerce dans ta direction. Tandis que je me penche, t’observe et plonge mes yeux dans ton regard comme pour mieux t’analyser, tandis que mes pupilles viennent se refléter dans tes pupilles à l’image d’un motif dans un motif, il se décentre et vient me traquer.  A son tour, il s’extériorise pour me scruter et tenter de m’absorber.

Mon regard m’observe soudain comme la maison englobe la maison. Il se déploie autour de moi et m’enferme.

Et tout se retourne à nouveau tandis qu’il apparaît derrière moi. Du très grand je passe au tout petit. De l’extérieur à l’intérieur. Je reviens là où je pensais ne plus être mais pourtant pas tout à fait de la même façon que celui ce que je pensais être alors que je me retrouvais à l’intérieur la première fois.

Les échelles et les perspectives bougent à nouveau autour de moi, comme guidées par le mouvement de mon propre regard. C’est comme si la façon dont je me regardais en te regardant permettait de les modifier, révélant autour de moi une forme d’étrangeté que je n’avais pas saisie jusque-là. Ou du moins perçue de manière trop simpliste.

Et si ce que j’avais vu ou appris était plus complexes que je ne l’avais pensé ? Et si, je voyais que ce qu’avais cru voir me permettait de voir que je n’avais pas tout vu tout à fait, qu’il restait tant à voir malgré ce que j’avais perçu, tant à apprendre de ce que j’avais cru observer ?

C’est comme si le temps et l’espace se redéfinissaient dans ma manière de voir, se modifiaient et se télescopaient dans l’abyme de mon regard ; ce regard rieur, qui tandis que je te regarde me fait grandir et rapetisser à l’envi, m’apprend tellement sur ce que je regarde et sur ce que je suis.

Laurent Fiévet

 

Miguel Palma vit et travaille à Lisbonne. Ses œuvres explorent diverses questions concernant le développement technologique, l’écologie, les relations de pouvoir, la perception, les mondes de l’enfance, et notre obsession des machines. Il produit aussi des dessins, sculptures, installations multimedia, des vidéos, des livres ainsi que des performances.